Surf - Le Sierra Leone, le surf & Ebola

La guérison d'un pays

- @oceansurfreport -

Au Sierra Leone, il subsiste au moins un endroit où l’on n’entend pas parler de charge virale, de taux de mortalité, de centres de traitement ou de combinaisons de protection. Où l’on se concentre plutôt sur le rythme des vagues, le bruit de l’océan, les séries qui rentrent.

Tous les week-ends, en dépit de la menace constante du virus Ebola (ou peut-être grâce à), des dizaines de surfeurs locaux se jettent à l’eau.

A l’aube, il y a quelques jours, une discussion démarre :

“Comment ça va K. ? » crie l’un des surfeurs

« Ca va ! » répond-elle un immense sourire aux lèvres. « Je viens juste de prendre une grosse vague ! ».

Ebola continue à ronger le Sierra Leone, pays le plus touché dans le monde par le virus. Des centaines de personnes sont infectées chaque semaine, et le chiffre officiel des décès approche les 3 000. Les bulldozers sont en permanence en action, ils abattent les arbres pour laisser place à des terres bientôt transformées en cimetières. Des petits vans aux vitres teintées sillonnent les routes du pays, un RIP affiché sur le capot : défilé sinistre incessant.

Tous les matins, des milliers de Sierra-Léonais marchent à travers les collines verdoyantes entourant Freetown, la capitale, pour prendre place derrière leur bureau, ou leurs kiosques en fer, ou au bord des routes où l’on s’échange des mangues, des piles de vêtement.

Les entrepreneurs transforment la tragédie d’Ebola en art, et en commerce, en réalisant des films sur le virus vendus 2 dollars le DVD. Les poulets rôtis tournoient derrière les vitrines des restaurants libanais, où les gens se réunissent pour déjeuner et feuilletter les journaux accueillant la dernière tournée de mauvaises nouvelles. Les hôteliers disent que le business a plongé, mais ils font face.

Mais à l’extérieur de Freetown, sur un croissant parfait de sable doré, les petites cabanes en bois font face à la mer, et les palmiers chargés de noix de coco tanguent sous le vent. Le Bureh Beach Surf Club donne un nouveau sens au mot résilience. Personne ici ne s’avoue vaincu face au virus. Au contraire, les surfeurs semblent déterminés à faire de leur passion un moyen d'affronter le quotidien.

Le club venait tout juste d’ouvrir quand Ebola a frappé le pays. Le but de ce club créé en 2012 par des pêcheurs peu fortunés était de promouvoir l’écotourisme, de protéger les côtés du Sierra Leone et de créer des emplois. Bureh Beach est le seul club de surf du pays, et les 30 surfeurs qui y appartiennent gagnent leur vie en louant des planches et en préparant les repas pour les touristes qui auparavant arrivaient en nombre. Aujourd’hui seuls quelques humanitaires fréquentent le lieu.

Le panneau à l’entrée de la plage, construit à partir d’une vieille board parle de lui même : « Di Waves Dem Go Mak U Feel Fine » littéralement « les vagues vont feront du bien ».

Pour Jahbez Benga, ancient pêcheur reconverti surfeur, le surf est comme une thérapie surtout par ces temps difficiles. « Quand vous êtes dans l’eau, vous ne pensez à rien, pas à Ebola, juste aux vagues ».

Les surfeurs de Bureh travaillent la méditation, en oubliant tout grâce aux carves, rollers et autres manœuvres. Mais partout ailleurs, les autres, même ceux qui ont été assez chanceux pour survivre à Ebola, bataillent pour reconstruire leur vie.

George Bangalie, qui vit à 1h de là environ, se souvient à peine avoir été touché par la maladie. Il avait la tête qui tournait, puis est devenu délirant avant de se précipiter dans une clinique Ebola. La seule chose dont il se rappelle, ce sont les gémissements des patients, tous ces médecins sans visage et le flou des infirmières, des femmes de ménages, de ces hommes au costume en plastique jaune qui se penchaient sur lui.

“C’est comme entrer dans un monde différent” dit-il. Mr Bangalie a survécu au virus, et est retourné dans son ancien monde, un bidonville. « Je me sens mieux, mais j’ai vraiment besoin d’un travail ».

Pour beaucoup de patients atteints d'Ebola, le sport a été une part importante du processus de guérison.

Cette volonté d’aller de l’avant est apparemment une des caractéristiques du Sierra Leone, aujourd'hui plus que jamais. Les habitants font tout pour rester en forme. A l’aube, les rues de Freetown se remplissent d’hommes et de femmes habillés du dernier jogging à la mode. Le samedi matin, certaines rues et ronds-points sont si remplis de mordus du fitness qu’on dirait qu’un triathlon est sur le point d’être lancé. 

A Bureh Beach, tout le monde se maintient en forme. Les surfeurs sont minces et musclés, ont des épaules larges et des abdos. Aucun d’entre eux n’est tombé malade. A l’entrée de la plage on trouve un poste de contrôle avec un surfeur en poste, équipé d’un thermomètre infrarouge pour scanner tous ceux qui passent.

Le club se résume à une flopée de cabanes. Certaines servent de dortoirs, dans d’autres on cuisine. Une dizaine de planches de surf sont appuyées contre un rack en bois. Mr Benga est le coach en charge, il prend 12 dollars pour une leçon. Il s’attarde sur un des visiteurs :

«  Première fois ? » demande-t-il.

 “Yep ” répond le visiteur.

“Ça fera l’affaire ça”, dit-il en attrapant une 7’0.

Les deux trainent mollement des pieds sur le sable doux et humide avant de plonger dans les vagues. L’eau ne descend jamais en dessous de 26 degrés. Une série rentre, un petit mètre glassy à vue d’œil. Au loin, on aperçoit sur les hauteurs un hôtel à moitié terminé, une autre victime du virus. Bureh Beach aurait dû accueillir son premier contest de surf à l'automne, on attendait 1 500 touristes et une création de 500 emplois. Ebola en a décidé autrement. 

Après quelques tentatives chancelantes, le touriste prend une vague. Rien de plus exaltant que ce shh shh shh du bord de la planche qui transperce l’eau, du léger spray.

“Il est debout, il est debout !” Mr Benga crie.

Après cette session, c’est l’heure du festin. Des crabes cuits au barbecue, du poisson frais, des frites maison et du riz épicé pour tout un régiment. Mr. Benga rayonne de fierté au moment de présenter les plats sur de vieilles assiettes cassées. Puis il attrape sa planche et repart surfer. Sans songer à l’annulation du contest, à l’hotel désert, aux blessures de son pays.

A ce moment, seul « di waves », « les vagues », comptent.

Photo by Daniel Berehulak via le NY Times

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