Après avoir connu les années folles de l'ère Kanabeach, parcouru le monde en quête d'images pour les médias et placé la Bretagne sur la carte de France des grandes régions de surf, Thomas Joncour a trouvé une autre cause pour laquelle affirmer son engagement. Il y a quatre ans, le free-surfeur bigouden s'est engagé au sein de la SNSM Penmarc'h (Finistère). Un initiative motivée par son amour de l'océan, du Pays bigouden et de cette association d'utilité publique avec laquelle le Finistérien a grandi. À l'occasion de la journée nationale des sauveteurs en mer, Thomas se confie sur son implication, son rapport à la sécurité en mer et sur l'évolution des mentalités.
Surf Report : Thomas, pourquoi avoir rejoint les rangs de la SNSM Penmarc'h ?
À Penmarc'h, il y a beaucoup de pêche et d'activités nautiques et la SNSM, c'est une véritable institution. Alors quand j'ai passé mes diplômes de secourisme pour être moniteur de surf, je me suis dis que je pouvais donner un coup de main. J'en ai discuté avec le président (Jean-Marc Bren, N.D.L.R) et il se trouvait qu'ils recherchaient des bénévoles pour intervenir sur le Petit Prince, le jet-ski de la SNSM, en plus du Prince d'Eckmühl, le canot de sauvetage principal. J'ai alors passé tous les diplômes et les formations qu'il me manquait, et depuis j'ai toujours le téléphone en alerte. Dès que ça sonne, j'essaie d'arriver sur zone le plus rapidement possible.
Concrètement, quelles sont tes missions principales ?
En fait, c'est plutôt varié. Je suis canotier sur le Prince et patron sur le Petit Prince. Le premier des deux est plutôt impliqué dans des interventions au large et sur des embarcations. Alors que le second se focalise sur des actions proches des côtes, et souvent sur des surfeurs, des kite-surfeurs, des baigneurs ou des pêcheurs à pied. On a beaucoup d'interventions le soir ou la nuit puisque la région est réputée pour la pêche à la sardine. Pendant leurs sorties en mer, les marins peuvent connaître des avaries ou d'autres soucis, alors on reçoit une alerte et on intervient. La nuit dernière par exemple, c'est un voilier qui était en cata totale. Le mec n'avait plus de voile, plus de moteur, plus d'émetteur... Et il était loin des côtes ! On est parti à 22h et on est rentré à 8h du matin.
À quel moment as-tu pris conscience de l'importance de leur rôle, en Finistère comme ailleurs ?
Ici, tout le monde a plus ou moins dans sa famille un membre qui est mort en mer. Alors la SNSM est vraiment devenue une institution populaire et respectée. Depuis que l'on est tout jeune, on a conscience de l'importance de son rôle. Je me rappelle encore quand j'étais gamin et que j'allais sur le port de Saint-Guénolé avec ma grand-mère, on ne voyait que le bateau de la SNSM.
Et tu étais émerveillé comme ces gamins fou de joie devant des camions de pompier ?
Exactement ! Et pour ce que ça représente ici. C'est la raison pour laquelle j'ai rejoint la SNSM. Il y a plein de marins, d'anciens marins, qui connaissent beaucoup mieux la mer que moi. J'essaie de participer le plus possible, et on fait fonctionner les stations ensemble. En fait, c'est une grande famille.
Le 7 juin 2019 lors de la tempête Miguel, un bateau de la SNSM a chaviré au large des Sables-d'Olonne, causant la mort de trois hommes. Quelles réactions cet événement a-t-il provoqué chez toi ?
On est tous solidaires dans ces moments-là. Je pense qu'il faut savoir faire la part des choses. Sur les réseaux sociaux après cet incident, j'ai vu des messages de soutien mais aussi un déferlement de haine. Beaucoup d'entre eux disaient que les marins étaient inconscients de sortir dans ces conditions. C'est dramatique ce qui est arrivé et ça montre aussi que ça peut arriver à tout le monde, à n'importe qui, à n'importe quel moment. Et même à des marins très qualifiés comme les équipages de la SNSM. Ils ont fait ce qu'il fallait faire, au bon moment. C'était un malheureux concours de circonstances... Et ça montre à quel point il ne faut pas prendre la mer à la légère.
À chaque accident, on braque les projecteurs sur l'investissement de la SNSM au quotidien. Après les événements des Sables-d'Olonne, Emmanuel Macron vous considérait même comme "l'emblème des nouveaux héros". La reconnaissance est-elle à la hauteur de votre engagement, notamment d'un point de vue financier ?
On est peu aidé, en effet. Mon président en parlera mieux que moi, mais les subventions ont beaucoup diminué. Il faut moins s'appuyer là-dessus et compter davantage sur soi en faisant des récoltes de dons par exemple. Quand la télé fait des sujets sur nous ou que le président de la République parle de la SNSM, ça aide. Mais quand la reconnaissance arrive en général, c'est après un drame.
Les surfeurs sont souvent les premiers à intervenir pour porter secours sur les plages. As-tu déjà sauvé des personnes en détresse lorsque tu étais à l'eau ?
Oui et on essaie d'ailleurs de faire de la prévention. En tant que surfeur, c'est vrai que j'ai déjà ramené des gens en catastrophe au bord, mais sans avoir l'impression de sauver une vie. Ça ne m'est arrivé qu'une fois, quand j'avais quatorze ans et que j'habitais sur l'île de la Réunion. J'étais parti voir les vagues et j'ai vu un couple d'Allemands faire des signes au large. Ils étaient derrière la barrière de corail, il y avait du sang et avec le risque requin, c'était vraiment chaud. Quand je suis arrivé à leur niveau, ils se laissaient presque mourir. Je m'en rappelle encore quand le mec m'a dit : "Vas-y, prends ma femme et laisse-moi là." Je l'ai rassuré en lui disant qu'on allait rentrer tranquillement et je les ai traîné sur 500m/600m. Mais c'est vrai que les surfeurs sont souvent impliqués dans des sauvetages, sans être nécessairement formés. Ils se servent de leur expérience et de leur savoir-faire pour sortir des mecs en cata de l'eau.
Tu enseignes le surf au 29Hood (une école de surf en Finistère), quel message fais-tu passer à tes élèves à ce sujet ?
Ils voient tout ça, c'est déjà arrivé que je parte en intervention en fin de cours. Pour sensibiliser, on fait des journées de jumelage avec la SNSM, on emmène les gamins faire des tours de jet-ski, on organise des ateliers de formation au secourisme, ça les booste. L'hiver dernier lors d'un cours, un de mes élèves a cassé son leash. J'étais sur la plage et j'ai vu les gamins ramener tranquillement leur collègue au bord. Ils ont fait ce qu'il fallait, c'était propre, ils n'ont pas paniqué et j'étais vraiment fier !
Quelle a été l'expérience la plus marquante que tu aies vécu lors d'une intervention en mer ?
J'ai pas connu d'intervention où les gens étaient vraiment en cata. C'était plutôt des remorquages ou des situations de ce genre, mais je pense que le jour où ça arrivera, ça risque de me marquer.
Les mentalités liées à la sécurité en mer et la conscience du danger sont-elles en train de changer ?
Il y a et il y aura toujours énormément de gens qui ne font pas attention, mais peut-on leur en vouloir ? Sur les réseaux sociaux, j'ai posté une photo sur la digue de Lesconil lors d'une grosse houle où on surfait dans le port. Elle a été reprise sur plein de groupes bretons et on m'a sommé de mettre les gens en danger. Mais nous ça fait 20 ans qu'on va là-bas ! J'avais beau leur expliquer que j'étais bénévole à la SNSM, que j'avais été surfeur pro, ils ne voulaient pas comprendre. L'humain est doué pour faire des reproches, moins pour essayer de comprendre la vraie notion du danger. Il y aura toujours des gens qui ne connaitront pas la mer et qui en auront peur. D'autres qui vont l'aborder sans précaution. Je ne sais pas vraiment si les mentalités évoluent et dans le même temps, le développement des activités nautiques amènent beaucoup de monde à l'eau.
C'est un manque de connaissances selon toi ?
Peut-être. Je vois bien quand je donne des cours, les baigneurs se dirigent souvent vers l'endroit où il y a le moins de vagues, mais en général c'est là qu'il y a le plus de courants. Lorsqu'ils sont en danger, ils adoptent les mauvais gestes : ils rament contre le courant, paniquent, perdent leurs repères et leur lucidité. Souvent, les gens intéressés par notre discours sont ceux qui sont déjà sensibilisés. Ceux qui prennent des risques et se mettent en danger, il n'en n'ont rien à foutre. Et on aura beau leur dire, ils continueront. En tout cas j'encourage tous les surfeurs qui ont une station à proximité de chez eux à s'investir dans la SNSM.
©Photo à la une : Patrice Touzeau - www.touzeauphoto.com