Dans la langue française, on utilise l'expression - "les grands esprits se rencontrent" - pour qualifier une situation de coïncidence intellectuelle où des pensées autonomes convergeraient vers la même idée. Comme quoi, elle est bien faite la langue française.
En décembre dernier, Erwan Le Lann et Maewan, un monocoque en acier de 10 mètres de long, quittaient les eaux de Polynésie où ils menaient des projets à vocation sportive, sociale et environnementale, pour rejoindre la ville de Puerto Montt, aux portes de la Patagonie chilienne. Là-bas, ils ont accueilli à leur bord les surfeurs et aventuriers de Lost in the Swell ainsi qu'Éric Péron, qui les attendaient pour un voyage pas comme les autres.
En adéquation totale avec les projets de l'association Maewan, dont le but est de constituer des équipages de sportifs talentueux pour aller à la rencontre des coins les plus reculés de la planète, les cinq hommes ont passé un mois en autarcie complète à bord du bateau. Ils ont exploré plus de mille kilomètres de côte, que les Bretons de Lost in the Swell avaient observé pendant plusieurs années grâce à l'analyse d'images satellites et des données météorologiques disponibles. Et si rien n'était couru d'avance pour que de bonnes vagues viennent couronner cette aventure, leur bonne étoile était encore une fois au rendez-vous. Comme quoi, parfois, les grands esprits se rencontrent.
Confiné en Haute-Savoie, où il profite de cette escale imposée pour avancer sur les projets de l'association, cet ancien guide de haute montagne raconte comment la pratique du surf s'est parfaitement mariée à l'aventure Maewan, explique quelles valeurs communes partagent les différents sports outdoor et admet qu'il ne verra plus les vagues du même œil.
Surf-Report : Erwan, comment as-tu rencontré le trio de Lost in the Swell ?
On ne se connaissait pas mais on avait des amis en commun et on s'intéressait déjà aux projets de chacun. Puis c'est au festival "La cité des aventuriers" à la Villette que nous nous sommes finalement rencontrés. Ils parlaient d'un voyage au Chili et on s'est dit que ça pouvait être l'occasion de le faire avec Maewan. Un an et demi plus tard, on a trouvé un créneau commun pour réaliser cette expédition en Patagonie chilienne.
Vous partagez cette même volonté de comprendre les endroits où vous voyagez et de prendre votre temps...
Exactement, c'est aussi pour ça qu'on s'est bien entendu. On partage les mêmes valeurs et la même envie d'aller à l'autre bout du monde en se servant d'un prétexte sportif. C'est ce qui nous permet d'aller à la rencontre de nouvelles terres, et de délivrer des messages.
Ce qui vous rapproche également, c'est cette capacité à voyager dans des destinations reculées... Qu'est-ce qui vous guide dans ce désir de vous retrouver loin des autres et dans ces endroits perdus ?
C'est la ligne de conduite de Lost in the Swell et c'est également celle de Maewan : découvrir des endroits dont on a très peu d'informations et surtout, à notre manière, que cela soit en bateau, à vélo, à pied... En Patagonie, même si quelques bateaux y naviguent, il y a très peu de passage. Et hormis quelques villes comme Puerto Montt, ou des villages plus reculés comme Punta Arenas ou Puerto Natales, peu de gens y habitent. C'était l'inconnu en quelque sorte.
Le froid revient régulièrement à travers les expéditions Maewan - Islande, Groenland, Alaska -. En quoi la Patagonie chilienne est un endroit différent ?
En plus de l'humidité et des paysages similaires à la Nouvelle-Zélande ou à l'Ouest de la Tasmanie, la Patagonie a quelque chose que je n'ai vu nulle part ailleurs pour le moment : des glaciers qui descendent jusque dans les fjords, avec la mer et des forêts tout autour. Tous ces éléments réunis dans un même endroit, c'est rare, et ça donne des décors incroyables...
Le but de Maewan est de parcourir des lieux relativement inaccessibles pour pratiquer des sports de nature, le surf était-il une première ?
C'était une première oui. On y a souvent pensé, notamment dans le Pacifique, mais c'est avec Lost in the swell que ça s'est fait pour la toute première fois.
Avais-tu déjà repéré des vagues lors de tes précédentes expéditions ?
Depuis ce voyage avec Lost in the Swell, j'ai un regard plus pointu et je vais davantage observer les vagues. Mais j'en ai vu auparavant oui, notamment au Kamchatka, une péninsule située en Extrême-Orient russe où on a même discuté avec quelques surfeurs. En Polynésie aussi, forcément, en Tasmanie également, à Chichi-jima, une île isolée à l'est du Japon... Et j'en ai vu une sur un atoll perdu en plein milieu du Pacifique, elle était magnifique !
Leur regard de surfeurs t'as-t-il permis d'appréhender les littoraux et les conditions météorologiques de manière différente ?
C'est un des buts des voyages de Maewan, de partager nos connaissances. Moi qui fais de l'escalade sur glace par exemple, si tu n'expliques pas à un non-initié comment regarder une paroi avec de la glace, il verra quelque chose de tout à fait ordinaire. C'est un peu pareil avec les vagues. Au fil de notre voyage, ils m'ont expliqué ce qu'était une belle vague à surfer
Quelles étaient les difficultés principales en terme de navigation par rapport au surf ?
Le plus compliqué était de trouver le bon endroit pour le mouillage, et ce en fonction du spot. Avec le surf, tu cherches des endroits exposés où la houle génèrent des vagues sur les côtes, alors qu'en bateau, c'est tout le contraire. Il faut trouver un coin protégé des vents et de cette houle, sinon le bateau se fait secouer, l'ancre peut se faire arracher. Mais cette difficulté, c'est aussi une richesse car au final, on trouve toujours un endroit où on peut combiner ces deux éléments et faire en sorte que cela fonctionne.
Dans une interview pour Montagnes Magazine, tu as déclaré : "à bord de Maewan, il n'y a pas de passagers, seulement des équipiers". Les gars de Lost in the Swell étaient-ils des bons équipiers ?
Carrément, ça s'est très bien passé car ils étaient motivés pour tout. Et avec la présence d'Éric Péron (navigateur professionnel) ça faisait une bonne équipe. Mais c'est clair que personne n'est là en client, en attendant que le temps passe. En Patagonie, les conditions étaient différentes de ce qu'ils ont connu sur leur trimaran Gwalaz (voir par ailleurs). Et naviguer sur un monocoque, c'est autre chose. Mais il fallait s'impliquer et ils l'ont fait, en s'intéressant aux réglages des voiles, en tenant la barre, en préparant le mouillage avec les amarres à terre... Aurel a même gratté toute la coque !
Un des leitmotivs de vos expéditions à travers Maewan, c'est le fait de voyager lentement. Mais est-ce conciliable avec la pratique du surf ?
Ça marche bien oui, on a avancé de repérage en repérage, en scrutant le long des côtes. Effectivement il y a plein d'aléas, notamment avec les tempêtes qui sont fréquentes dans cette partie de l'Amérique du Sud. Il y a des endroits où l'on ne peut pas s'arrêter, d'autres où l'on est contraint de poser l'ancre... Mais finalement, on trouve notre compte. La preuve dans cette expédition, on s'est abrité et on est resté coincé au même endroit pendant une semaine, et c'était juste à côté de ce spot magique qu'ils avaient repéré sur les cartes.
Tu es issu de la montagne, et tu as pu leur faire partager cet univers avec la découverte des glaciers et des sommets de Patagonie...
C'était drôle, on était en train de parler des vagues quand on a aperçu les sommets. Et là, je me suis rendu compte qu'ils n'avaient jamais vraiment vu de montagnes ou de glaciers ! Ils ont voyagé dans beaucoup d'endroits, mais pour la mer et pas pour la montagne. Je leur ai donc fait partager ce regard, le même que le leur avec les vagues. On a regardé comment une montagne était faite, comment elle fonctionne avec les glaciers, les crevasses, les séracs... On a eu un échange très intéressant, même si les glaciers étaient loin. Mais de les voir depuis le bateau, c'était un moment magique.
Tu penses qu'ils accepteraient que tu les emmène faire de l'escalade sur glace en Islande (voir par ailleurs), par exemple ?
Je suis sûr que ça les éclaterait !
Tu es guide de haute montagne, ascendant grimpeur, alpiniste et skieur : as-tu découvert dans similarités avec la pratique du surf ?
Dans tous ces sports outdoor, nous sommes avant tout des observateurs. Il faut comprendre les éléments et s'en imprégner avant de les approcher. Entre la montagne, mon domaine de prédilection, et la mer, l'approche de ces éléments est similaire. D'un côte, il faut regarder les courants, connaître les vents, comprendre la mécanique des bancs de sable... De l'autre, il faut sentir les températures, la qualité de la neige, les vents, distinguer les avalanches...
Vous faites partie d'une même famille en fin de compte...
Je pense oui. Dès qu'on va dehors, on fait partie d'une même famille, à l'écoute des éléments et de la nature.
Est-ce que cette expérience pourrait se renouveler, avec l'intégration du surf dans vos prochaines aventures ?
J'espère, j'aimerais bien en tout cas. On a essayé par le passé, mais c'est finalement cette année avec Lost in the Swell que ça s'est réalisé pour la première fois.
...Et aller surfer la vague magnifique que tu as découverte sur cet atoll au milieu du Pacifique ?
Il ne faut pas que je donne le nom, ni la localisation, pour qu'il reste encore sauvage... Mais pour moi, ça fait partie des îles les plus perdues du monde, personne n'y habite. Emmener des surfeurs là-bas, ça serait magique.
Retrouvez toute l'actualité de Maewan sur www.maewan.com
(Re)voir les épisodes de "Patalluvia", la dernière saison de Lost in the Swell en Patagonie :
Épisode 0 : Teaser
Épisode 1 : Grand départ
Épisode 2 : ''Magic Bay''
Épisode 3 : "C'est pas la fin du monde ?"
Épisode 4 : "Hallucinant !"
Épisode 5 : "C'est l'été en Patagonie !"
Épisode 6 : Derniers regards