Interview - Romuald Pliquet : "Teahupo'o sait reconnaître les personnes qui la respecte"

Le photographe breton basé à Tahiti nous raconte ces dernières semaines de folie sur la vague tahitienne, qu'il a vécu de l'intérieur.

- @oceansurfreport -
©Romuald Pliquet
Au cours de ces dernières semaines, il a été le témoin privilégié d'une édition plus qu'historique du Tahiti Pro. Un swell XXL, des surfeurs tahitiens en état de grâce, une épopée fantastique signée le local de l'étape, Kauli Vaast, et le sacre pour l'éternité d'Owen Wright : Romuald Pliquet a vécu ces instants depuis la passe, à travers son objectif mais surtout ses yeux. Le photographe originaire de la presqu'île de Crozon, désormais basé à Tahiti depuis quelques années, revient pour Surf Report sur des moments qu'il a à jamais gravé dans sa mémoire.

Surf Report : Comment as-tu vécu ces deux dernières semaines à Teahupo'o ?
Romuald Pliquet : C'était vraiment intense. Émotionnellement parlant, les derniers jours "at the end of the road" ont été très forts. L'arrivée d'un gros swell est toujours un moment où se mêlent excitation et appréhension. En fait, tu es tellement dans un état second que la veille, tu n'arrives jamais à trouver le sommeil. Quand le jour se lève enfin et que tu commences à découvrir et à comprendre le line-up, tu es complètement dans ta bulle, comme déconnecté de la réalité.

Avec ce genre de conditions, l'ambiance qui y régnait devait-être particulière...
Complètement, puis à cela s'est rajoutée l'impatience de voir évoluer les surfeurs du Tour dans ces conditions épiques ! L'ambiance était euphorique, dans tous les sens du terme et tout était réuni pour vivre une moment incroyable. Malheureusement pour les locaux, tout n'a pas véritablement fonctionné comme nous l'espérions tous mais le surf tahitien en est sorti grandi, et c'est ça le plus important. Tout les personnes présentes ont vécu des instants historiques et surtout, Teahupo'o a une nouvelle fois fait rêver la planète. Deux semaines mémorables !

À Tahiti, un tableau complet d'éléments...

Raconte-nous qu'est ce qu'une journée classique pour un photographe sur le Tahiti Pro ?
Un véritable marathon ! Habitant sur la côte nord, ma journée commence par un réveil à 4h du mat'. Ensuite c'est 1h30 de route avant d'embarquer sur un des deux bateaux médias qui appareille vers 6h du mat. La traversée du chenal, depuis la marina jusqu'à la vague, constitue le seul véritable moment de quiétude absolue avant de se retrouver dans l'arène, où le décor paradisiaque avec les montagnes triangulaires et sa végétation luxuriante se distinguent aux premières lueurs du jour.

Et une fois au line-up ?
C'est là que tu découvres enfin les séries, et c'est à ce moment que tu décides du matériel que tu vas utiliser pour la journée. Les conditions météorologiques sont très changeantes à Teahupo'o, tu peux donc passer rapidement de la crème solaire au ciré, et si par malchance tu te trouves sur un bateau sans taud, tu peux subir la pluie toute la journée... Ça peut vite devenir difficile pour le matériel et la qualité des prises de vues. Mélangée aux embruns soufflés par le curl des plus grosses séries, les éléments peuvent avoir raison de ton matos. Mais on reste néanmoins bien installé dans le bateau et le spectacle est tel que la passion l'emporte sur le reste ! Au pic, c'est parti pour 12h de shoot au plus près des surfeurs à l'eau avant de retourner à terre. Il y a donc toute une logistique à prévoir pour la journée : nourriture, boisson, crème solaire... La journée se termine à la maison à sélectionner et retravailler tes photos avant de les envoyer aux partenaires, médias et surfeurs. Ce qui t'amène tranquillement mais surement vers 23h au mieux. Lendemain rebelote, sans oublier le réveil à 4h (rires).

"Owen Wright fait partie de ces rares surfeurs qui ont une relation fusionnelle avec Teahupo'o."

Comment as-tu vécu ce swell XXL ?
C'était de la folie. La houle était vraiment bien calée et les Tahitiens avaient visiblement décidé d'en découdre en tow-in avec les plus gros monstres ! Toute la nouvelle génération de chargeurs était sur le qui-vive et les plus grosses séries du matin ne leur ont pas échappé... Au même moment, les surfeurs du Tour et les autres riders étrangers venus chercher leur place lors des Trials se posaient la question de s'y attaquer ou pas à la rame... Certains y sont allé, timidement dans un premier temps, pendant que les autres ont préféré rester sagement toute la journée dans les bateaux pour ne pas se blesser pour le main event. Mais comment expliquer à un chien de rester impassible devant un os ? Alors dans le milieu de la journée, certains ont craqué et ont décidé de se jeter à l'eau. Là ce fut un régal pour les yeux, notamment avec Owen Wright qui, visiblement, semblait déjà être très à l'aise dans ces conditions épiques. A le voir évoluer ainsi et vu son passif ici, il se présentait déjà comme un sérieux candidat à la victoire finale...
Matahi Drollet n'était pas en reste lors du swell XXL qui a frappé Tahiti.

Sur Instagram, tu dis que seules quelques personnes ont une relation particulière avec Teahupo'o et qu'Owen Wright en fait partie, qu'entends-tu par là ?
Teahupo'o sait reconnaître les personnes qui la comprenne et la respecte à sa juste valeur. À un moment ou un autre, elle les récompense de tous ces moments passés à l'eau à essayer de trouver une réponse à sa légende. Owen fait donc partie de ces rares surfeurs qui ont une relation fusionnelle avec cette vague, au même titre que Manoa et Matahi Drollet, Raimana, le regretté Malik Joyeux, Medina ou encore Kelly Slater.

A cela s'est greffée la belle épopée de Kauli Vaast pour sa toute première participation à une épreuve du Tour. Comment as-tu vécu ça avec sa famille, ses amis ?
Étant présent sur un des deux bateaux médias, il m'était difficile de pouvoir m'éclipser pour vivre de façon plus intimiste ses impressions. Mais avec Raimana Van Bastolaer, Jérémy Florès, Kelly Slater et sa famille présente sur le bateau où Kauli avait établi son camp de base, ça restera, à coup sûr, un moment historique pour lui et son entourage. Déjà, gagner les Trials devant ses amis, sa famille et le public tahitien à domicile, sur une vague où il est présent tous les jours au petit matin avant d'aller faire ses devoirs, ça restera pour lui un moment inoubliable et porteur de grandes choses. Je peux déjà affirmer sans prendre de risques que Kauli gagnera ici un jour, à Teahupo'o.

David Michel, journaliste à l'Équipe, nous donne un aperçu du bureau de Romuald.

Quel gars t'as le plus impressionné tout au long de l'événement ?
Sans hésitation Owen Wright ! Il n'y a eu aucun déchet dans son surf. Ses lignes ont été parfaites à chaque vague. Ses batailles perdues face à deux monstres ici (face à Slater en 2011 et Medina en 2018), parlent pour lui ! On n'arrive pas en finale par hasard ici. Au fil du temps, il a compris comment fonctionne la vague. Son engagement à se lancer dans des séries XXL à la rame te laisse sans voix et te démontre sa relation spéciale avec la belle du Pacifique.

"Déclencher une photo avec Kelly, c'est toujours avoir la sensation de vivre un moment unique, presque mystique."

Surtout avec le come-back qu'il a réalisé après sa convalescence...
Quand il s'est blessé à Pipeline, personne ne donnait cher de son retour au plus haut niveau. Et le voir évoluer ainsi sur l'une des vagues les plus dangereuses au monde ne peut que forcer le respect. Il doit avoir du sang tahitien (rires) !

Lequel d'entre eux est le plus photogénique ?
Kelly Slater. Déclencher une photo avec Kelly, c'est toujours avoir la sensation de vivre un moment unique, presque mystique. Sa filiation dans les gauches caverneuses comme Teahupo'o, Cloudbreak ou encore Pipeline est tellement unique que tu ne sais jamais ce qu'il va faire. C'est le seul surfeur qui, dans une session et dans ce genre de conditions, va enchaîner les tubes sans jamais utiliser la même technique, contrairement à la quasi-totalité des autres surfeurs qui ont une gestuelle presque mécanique dans l'art du tube. Il y plane toujours quelque chose de particulier quand le "King" est à l'eau.

Si tu pouvais garder une seule des milliers de photos que tu as prises ces derniers jours, ce serait laquelle ?
Ce serait celle-ci, sans hésitation (voir photo à la une). Une vague vierge de tout surfeur, pas nécessairement dans un line-up désert, mais une vague que personne n'a réussi à chevaucher. Soit parce qu'elle est arrivée par surprise comme sortie de nulle part, ou alors parce que sa puissance est telle que personne n'a osé s'y lancer. Une vague qui fait tout simplement rêver par sa beauté, sa puissance et son inaccessibilité. Une photo devant laquelle tu es un spectateur actif en faisant travailler ton imagination. Tu offres une ouverture sur l'interprétation, avec des sentiments, des sensations et des traits de personnalités propres à chacun. Bref, une photo qui appartient à tout le monde.
         
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