Encore plus fascinant que son palmarès, Pierrot est profondément connecté à l'océan et tout ce qui l'entoure, faisant de lui une véritable source d'inspiration pour tous. Plongez dans une interview intimiste pour mieux le connaitre.
Ocean Surf Report - Salut Pierrot, peux-tu nous dire d'où tu viens ?
Pierrot Gagliano - "J'ai grandi en Bourgogne, je suis né là-bas, mes parents y habitent toujours. J'ai habité dans cette région jusqu'à mes 16 - 17 ans. J'y ai commencé le skate, c'est le premier sport de planche que j'ai fait. Puis à 17 ans je suis parti vivre en Haute-Savoie, à Morzine, pour le snowboard. J'ai passé 3 ans sur place, j'ai fais du snowboard à fond, j'y ai fais plusieurs saisons et j'étais dans un club de snowboard donc je m'entrainais beaucoup. J'avais déjà fais un peu de surf avant mais je m'y suis réellement mis juste après le premier confinement. Ça fait 3 ans tout pile."
OSR - Qu'est ce qui t'a poussé à commencer le surf et à quoi ressemblaient tes débuts ?
PG - C'est un peu la suite logique avec le snow. Tout mon entourage faisait du surf, même moi je savais déjà surfer avant, mais je "surfouillais" disons. J'étais complètement débutant, c'était encore loin pour moi le surf. Quand les stations ont commencées à fermer pendant la pandémie, je me suis tourné vers le surf et j'ai accroché. Je ne suis pas retourné à la montagne depuis, j'ai délaissé le snowboard.
J'ai commencé à faire des trips, d'abord en France puis j'ai vite progressé donc je suis parti aux Açores pour quelques mois et à Madère par la suite. On peut dire que j'ai appris le surf dans les grosses vagues. J'ai passé un hiver entier là-bas et c'est là que j'ai commencé à vraiment surfer, en apprendre davantage sur l'océan et ce qu'il se passe autour.
J'ai appris à surfer sur des step-ups voir mini gun parce que les vagues sont quand même bien costaud à Madère. Ensuite je suis parti chez des amis en Amérique Latine, au Costa Rica et au Panama. L'hiver d'après je l'ai de nouveau passé à Madère. Je ne faisais pas de surf performance, vu que les vagues sont énormes, mais j'aimais bien ça quand même.
OSR - Peux-tu nous expliquer ton handicap et comment il t'affecte ou non d'un point de vue technique ?
PG - C'est une maladie de naissance, certes dégénérative mais de naissance. Je vois quand même un tout petit peu donc je me sers de ce que j'ai on va dire (rires). Vu que je n'ai qu'un œil je n'ai pas de notion de distance ni de relief. Un set qui arrive je ne vais pas le voir, donc je me fie beaucoup aux gens qui sont dans l'eau. Quand je vois que tout le monde rame, c'est qu'il y a un set. Après tu t'habitues à la fréquence des sets, tu développes un petit truc aussi. Quand une vague arrive, je ne peux pas vraiment savoir si elle est à 5 ou 15 mètres. Je me repère beaucoup à la couleur de la vague, plus elle va être foncée plus elle va être proche et potentiellement plus creuse donc j'essaie de me placer en fonction de ça pour trouver le pic, la pocket.
OSR - Est-ce que tu as développé tes autres sens pour le surf ?
PG - Oui, au niveau de son, surtout pour le canard. Comme je l'ai dis je n'ai pas de notion de distance, il m'est donc arrivé de faire mes canards et d'en ressortir alors que la vague n'était pas encore arrivée vers moi. C'est à plus petite échelle que le reste, mais j'ai quand même développé quelque chose grâce à mon oreille.
OSR - Est-ce différent dans les autres sports ?
PG - Le skate concernant les reliefs tu as plus de sensations que dans le surf. Je fais beaucoup de bowl, donc avant de pouvoir le skater j'apprends à bien connaitre le bowl. Je fais beaucoup de repérage, en skatant malgré tout. Pour le coup le skate contrairement au surf où je me fie beaucoup aux sensations pour ressentir la vague, c'est plus prévisible. Quand je suis backside en surf c'est mon coté aveugle donc je fais tout au ressenti. Dès que je me lève, je sens si ça pousse ou pas et là j'adapte mon bottom. Si je fais un gros take-off, que je sens qu'il y a du mur, je ne vais même pas essayer de voir la face de la vague je vais direct faire un bottom et essayer de mettre un turn parce que j'ai la sensation qu'il y a un mur. Dès fois ça marche, d'autres non. En skate si tu connais ton bowl, tu sais à quoi t'attendre tandis que la vague c'est toujours la surprise.
Pour le snow c'est surprise constante. Quand il faisait beau ça pouvait aller, mais quand il fait mauvais je suis limite meilleur que les autres parce que je me fis à ce qu'il y a sous mes pieds et pas ce que je vois. Quand tu fais du park c'est pareil, une fois que tu as analysé les kickers ou les rails c'est comme en skate ils ne bougent pas. Mais le snow c'est quand même beaucoup de surprises sous les pieds, les changements de terrain ou si la piste est en mauvaise état ça peut être compliqué.
OSR - Qu'est ce qui t'a mené à la compétition ?
PG - C'est ma rencontre avec Éric Dargent. Je l'ai rencontré à l'eau, c'était un ami d'ami. Après plusieurs jours à se croiser dans l'eau, on se racontait de plus en plus notre vie, je lui expliquais que j'étais mal-voyant. Il m'a dit : écoute, tu vois bien que moi aussi je suis handicapé, je fais des compétitions parasurf, si tu veux je peux te donner des contacts. J'ai donc pris contact avec la Fédération Française de Surf. C'était en septembre 2021 et ma première compétition était en octobre de la même année, aux Sables d'Olonne pour les Championnats de France.
OSR - On sait que tu as enchainé les victoires, raconte nous la suite.
PG - En 2022 il y a eu les Open de France qui étaient les premières compétitions de l'année. Ensuite il y a eu la compétition à Zarautz, hors du circuit de la FFSurf. Puis les Championnats de France ont eu lieu, j'ai ensuite participé à des stages avec la Fédération Française qui m'ont permis d'intégrer l'équipe de France. On s'est qualifiés pour les mondiaux qui étaient en décembre.
OSR - Tu parlais de ta rencontre avec Éric, rencontres-tu souvent d'autres surfeurs avec un handicap quel qu'il soit ?
PG - Non vraiment pas, c'était le premier. Maintenant j'ai fais de magnifiques rencontres. Le parasurf c'est aussi l'entraide. Par exemple je vais souvent surfer avec mon pote Maixi Cabanne qui est en fauteuil. Je le porte sur la plage pour l'emmener dans l'eau, lui m'aide dans l'eau pour trouver les bonnes vagues. On est toujours en train de s'aider et ce sont de bons moments de partage. J'ai fait toutes mes compétitions avec mon meilleur pote Théophile qui est mon binôme et mon guide officiel sur les compétitions. Il part avec nous en tant que staff sur les compétitions pour aider d'autres handisurfeurs, toujours avec le sourire. Je suis aussi toujours à l'eau avec ma copine qui m'accompagne partout en voyage ou pour surfer quand on est à la maison, on partage tout ensemble et c'est toujours un plaisir et un bon sentiment de l'avoir avec moi à l'eau !
OSR - Comment est-ce que tu le vis ?
PG - Avant mon arrivée dans la compétition je ne voulais pas montrer mon handicap. Je ne me considérais même pas comme handicapé parce que je ne l'acceptais pas. J'ai commencé à me rendre compte à ce moment-là qu'il existait beaucoup de choses pour les handicapés qui surfent et à me considérer moi-même comme handicapé.
OSR - As-tu déjà eu des problèmes à l'eau ?
PG - Oui plein de fois, lorsque je droppais les mecs à cause de mon champ de vision réduit et moins de technique. Va expliquer que t'es mal voyant à un gars que tu viens de braquer sur la bombe. Surtout si il y a la barrière de la langue. Maintenant que j'ai un bon niveau et que je fais ma place au pic, j'ai moins ce genre de soucis, je me fais respecter.
OSR - Tu parlais de ton surf backside, est ce que tu as plus de difficulté de ce côté-là ?
PG - C'est plus instable, frontside j'arrive à me repérer avec ma vue. Autre chose, je snake sans le vouloir pas mal de vagues quand je pars en droite parce que je ne vois que ce qu'il se passe coté pic. C'est un peu un soucis car c'est un handicap invisible. Les gars ne vont pas voir que je suis malvoyant, ils s'en foutent. Cette difficulté m'a appris d'autant plus de choses, j'avais beaucoup de mal à surfer des spots où il y avait beaucoup de monde, même quand j'ai des gens autour de moi pour m'aider. J'ai appris un peu à la dure mais au final je suis super à l'aise, c'est aussi ce qui m'a fait autant progresser dans l'océan. J'ai dû faire ma place comme tout le monde.
OSR - Comment définirais-tu ton style de surf ?
PG - Ce qui me plait dans le surf c'est l'esprit rock'n'roll. Pour moi c'est les valeurs que je veux défendre dans le surf. C'est là dedans que je me reconnais même si je suis pas un ancien du tout. Sans vouloir en faire trop non plus (rires).
OSR - Dans cet esprit, Volcom vient de prendre part à ton aventure en te soutenant, quelle forme prend cette collaboration ?
PG - C'est très récent. Ils m'ont contacté, on a discuté, ils ont trouvé que je collais bien à la marque, que j'avais de beaux projets. C'est une marque qui me correspond à fond donc que ce soit pour le surf, le skate ou le snow, c'est la marque que j'adore depuis que je suis gamin. C'est gratifiant d'avoir obtenu ce que je vois comme le graal.
OSR - Quels sont tes projets pour la suite ?
PG - J'aimerai bien à terme faire un film pour parler du handicap, du surf, du rock'n'roll, de ma vision que j'ai sur tout ça. Concernant les compétitions je veux continuer à faire toutes les compétitions fédérales avec l'équipe de France.
Je veux aussi participer au Tour pro privé qui s'appelle PSL, l'équivalent de la WSL en parasurf. Il y a des compétitions partout dans le monde. Ils fonctionnent par continents, c'est plus simple pour les gens. J'ai 3 compets en Europe : en Galice, Pays de Galles et France. Si je fais des finales et en gagne au moins deux, là je me qualifierai pour la finale mondiale où il y aura les gagnants de chaque continent. Elle se tiendra en Californie en décembre ou janvier, ils ne savent pas encore.
J'aimerais donc bien faire les deux, parce que sur les compétitions fédérales je pars avec l'équipe de France tandis que pour la PSL je suis seul. Du coup je dois trouver l'argent, avec les sponsors entre autre, tout payer. Je ne travaille plus, car j'entre dans une période où j'ai des projets et pour les réaliser j'ai besoin de temps et d'argent. Soit je me trouve un emploi et j'abandonne tout ça, soit on me soutient et je peux me lancer et me faire un nom.
C'est pour ça que des sponsors sont essentiels et qu'à coté j'ai lancé une cagnotte pour me booster.
OSR - As-tu conscience d'être une source d'inspiration pour beaucoup ?
PG - Cela fait peu de temps que je surfe, encore moins que je fais de la compet. Je ne me considérais pas comme quelqu'un d'handicapé. C'est vraiment le fait d'avoir commencé à faire des compétitions, de rentrer dans l'association handisurf et d'avoir intégré l'équipe de France handisurf qui m'a fait comprendre que j'avais un handicap, même un énorme handicap, qui en plus est invisible. Ça m'a beaucoup appris de rencontrer d'autres personnes, puis de commencer à l'assumer et ainsi de moins le voir comme un handicap mais plutôt comme ma force, ma personnalité. Je viens de comprendre aussi que, même si ça ne fait pas longtemps, c'est inspirant. J'ai donc envie de partager là-dessus. Si je peux apporter ma touche et aider d'autres gens c'est cool.
> Pour soutenir Pierrot dans son projet, vous pouvez participer à sa cagnotte en ligne.