Imaginez un peu. Vous et deux de vos amis êtes assis sur vos planches. L’eau sous vos pieds est d’un bleu profond. Vous êtes à environ 3 kms de la côte et au loin vous distinguez Saint Jean de Luz.
Nous sommes le 7 janvier 2014.
C’est le plein hiver bien sûr, mais c’est aussi l’une de ces journées magiques sur la côte Atlantique où l’air est pur, saisissant. Avec la bonne direction de vent, vous pourriez presque humer les effluves qui émanent des cafés et boulangeries dans les rues de Saint-Jean. Vous le sentez, cette journée-là va être particulière.
L’un de vos amis, appelons-le ami n°1, est placé à environ 45 mètres de vous et rame pour prendre une vague. Vous sentez qu’il ne partira pas et décidez de ramer à votre tour.
Votre deuxième ami, qu’on appellera ami n°2, est 50 mètres devant vous. Il crie pour vous encourager à ramer juste au moment où la vague attrape le tail de votre planche et vous propulse en avant.
Ok.
Arrêtons-nous deux secondes. Modifions les données.
Votre ami n°1 est en fait Shane Dorian. Votre ami n° 2: Grant Twiggy Baker. Vous ? Jamie Mitchell.
Vos 3 guns représentent en volume certainement plus que le quiver entier de beaucoup de surfeurs.
Et VOUS, oui, vous, vous allez manger.
« On s’est réveillés ce matin-là et la houle qui était arrivée dans la nuit était si grosse que le jet-ski qui devait nous attendre tranquillement dans la baie avait coulé. » se rappelle Jamie Mitchell. « Ça nous a un peu effrayé mais nous avons réussi à louer un bateau et retrouver Shane O et quelques autres gars qui étaient bien occupés à waxer leur planche ».
Le trio est alors prêt à ramer vers Belharra.
Mitchell, sauveteur et surfeur à la rame de légende, gonfle partiellement sa veste qu’il porte sous sa combinaison et s’arrête quelques instants avant de plonger dans les eaux froides de l’Atlantique, prêt à ramer vers le pic.
Dans la confusion, le vidéaste Vincent Kardasik parvient à prendre place à l’arrière d’un jet et se dirige dans la même direction.
Dorian, Mitchell et Baker se mettent en place au line-up et entame l’attente angoissante, celle d’un signe à l’horizon, de la mise en mouvement des jets. A chaque vague la masse d’eau projette des parcelles de mousse de la taille de balles de golf dans le dos de nos trois surfeurs.
“Ce truc fait sacrément mal” raconte Mitchell. « A cet instant nous nous parlons tous, un regard rivé vers le large pour surveiller ce qui arrive. Les échanges continuent, dans un stress palpable. Soudain je vois Shane s’engager et ramer. Je me parle à moi-même : « Ca y est, nous y voilà ».
Mitchell perçoit alors que Dorian ne pourra pas démarrer. Dans un mouvement rapide mais calculé, il fait pivoter sa 10’6″ et commence à ramer vers la côte alors que la vague se soulève, le soulève.
Un peu plus loin, Kardasik avance son pouce vers le déclencheur de son appareil photo.
“Nous avions attendu toute la matinée” se souvient Twiggy. « Au moment où j’ai vu la vague, j’ai su que Jamie était en position parfaite pour l’attraper donc j’ai ramé aussi fort que j’ai pu pour me dégager de sa trajectoire. Pendant tout ce temps je lui criais « GO, GO, GO ».
Mitchell, alors qu’il retrouve cette sensation familière de la poussée sous sa planche, entend les encouragements de Twiggy et se remet à ramer. « Ce qu’il faut savoir avec les vagues de cette taille c’est qu’on a le temps de se préparer pour le drop, et je sentais que j’avais une bonne position, tout était en place. Et puis j’ai commencé à sentir un fort clapot ».
Twiggy réputé pour son sens de l’anticipation se remémore : « J’avais peur de ce qu’il pouvait y avoir derrière cette vague, mais en même temps j’étais fasciné par ce que je voyais ». J’avais sous mes yeux ce qui allait devenir un moment de surf mémorable et la seule chose à laquelle je pouvais penser c’était à cette vague inouïe et combien j’avais envie que Jamie la prenne ».
A ce moment précis, Twiggy remonte la face de la vague et Mitchell se relève en direction opposée. « J’ai eu quelques secondes pour analyser la situation et… je me suis préparé pour l’impact » raconte Mitchell.
Alors que Mitchell est projeté vers l’avant, ce que Twiggy aperçoit est presque indescriptible. « Je suis arrivé en haut de la vague de Jamie et j’ai fait un saut dans les airs d’environ 3 mètres vers l’arrière ». « Je ne pouvais rien voir à cause du spray mais lorsqu’il s’est dispersé, un mur d’eau se trouvait devant moi. Il faisait à peu près 20 mètres, m’empêchait presque de voir le ciel et allait me tomber dessus. Je n’avais jamais vu cela avant, pas avec cet angle. »
Deux amis, à des milliers de kilomètres de chez eux, poussés dans les profondeurs de l’océan.
“Je n’ai jamais été bloqué au fond aussi longtemps” dit Mitchell. « J’ai dû batailler, mais la vague d’après, c’est celle-là qui m’a vraiment eu ».
Mitchell parvient à la surface juste à temps pour être confronté à la même vague que Twiggy. « C’est un moment de solitude extrême » admet-il. Ma tête est sortie de l’eau et j’ai eu quelques secondes pour regarder vers la passe et il n’y avait personne, personne pour venir me chercher. J’ai regardé ensuite en direction de la vague, ce mur immense d’écume blanche. Je me souviens ne pas avoir été capable de distinguer la fin de la vague et le début du ciel. »
Mitchell prend alors plusieurs longues inspirations et plonge aussi profond que sa veste gonflée lui permet. « Je n’aime pas vraiment aller trop en profondeur sous de grosses vagues, il y alors moins de probabilités de devoir tenir deux vagues. Et celle-ci a dû me trainer sur une bonne centaine de mètres. »
Mitchell est finalement poussé vers la passe, sans grande conscience de l’énormité des vagues qu’il vient juste d’affronter. « Je n’ai honnêtement pas réalisé qu’elles étaient aussi grosses. Et puis Shane O m’a fait venir sur le bateau pour voir les photos. »
« Cette vague, sans aucun doute, est l’une des plus grosses, si ce n’est la plus grosse vague que l’on ait essayé de prendre à la rame » considère Shane O.
Solitude et euphorie, une association bien étrange.
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